La pratique des enfants de Diane est alternative, au sens électrique du terme. Il s'agit de produire de l'énergie dans un mouvement continue entre le trop et le trop peu. Confronté.e.s à des voix appartenant à des êtres qui nous dépassent, nous décidons de nous substituer à l'absence que suggère leurs mots enregistrés, d’augmenter nos propres corps avec les signes appartenant à d'autres. Sans jamais être star, nous sommes néanmoins toujours plus que nous même.

Les enfants de Diane ont une pratique de drag, au sens où l’entend Renate Lorenz dans Art Queer : diverses pratiques artistiques d’incarnation. Incarnations de corps publics, empruntés principalement à la culture populaire actuelle ou plus lointaine. Notre activité principale est le lipsync (playback) qui s’inscrit dans des numéros chorégraphiés. La voix se détache du corps et devient un moyen par lequel faire coprésence avec d’autres corps, car le drag offre la possibilité de devenir (im)personnel.le, de visualiser les possibilités de devenir autre que ce que l’on est.
L’important est d’éprouver ce qu’engage l’action de faire semblant : un acte de transcendances multiples (des réalités, des genres, des codes) qui requièrent un investissement physique, moral, voire politique et spirituel. D'opérer ce déplacement de soi. En groupe.
Nous avons créé ce collectif à partir de l'envie de faire corps ensemble. Il était primordial de constituer une communauté autour d'une notion de plaisir, de partage, de fête en l'honneur de l'altérité. Nous prenons comme point de départ un acte que chacun peut aborder : celui d'imiter. Le dénominateur commun des numéros est de s’appuyer sur le divertissement pour opérer une communication vers le public. C’est un travail scénique ou autour de l’idée de la scène, même lorsque les représentations se déroulent dans des espaces d’exposition.
Cette activité collective enrichit un échange entre les pratiques personnelles de chacun des membres et les préoccupations qui nous unissent: Qu'est ce qu'être un corps au sein de la société du spectacle ? Qu’est ce que communiquer avec un public? Comment se créent nos identités ? Quel est le rôle de l'imitation dans la création de nos identités sexuelles et genrées ?


"Il ne s’agit pas d’une coprésence, transition d’un état vers un autre mais plutôt d'une troisième chose - un corps collectif qui reste en mouvement et qui résiste à toute appropriation définitive, à toute compréhension ou à tout accès possible."
Renate Lorenz, Art Queer




Un sabbat pour les Enfants du sabbat

« Les paillettes qui se dispersent sous les pas des visiteurs du Creux de l’enfer, formaient, le soir du vernissage, un cercle tracé au sol, comme ceux qui, dans la magie blanche ou noire, délimitait un espace sacré à l’intérieur d’un espace profane. Ainsi donnait-il lieu à un monde temporaire au coeur du monde ordinaire, où, par exemple, des performances sont jouées les soirs de vernissage dans les expositions d’art contemporain. Il ne faut donc pas confondre les numéros de lip sync qui se sont produits ici avec autre chose, comme la mise en scène d’une image de night club gay ayant une visée métaphorique quelconque : il s’agissait réellement de numéros de play back préparés avec ferveur par les membres du groupe Les enfants de Diane, formé à l’appel de Valentin Godard et Hélène Hulak dans l’idée d’organiser « un sabbat pour les enfants du sabbat ». Il ne faudrait pas non plus prendre à la légère cette décision de substituer à une occasion de faire gure d’artiste celle d’organiser une fête en l’honneur de l’altérité. En sortant de l’école des Beaux-Arts, il déclarait vouloir « devenir une drag queen » (par définition, une identité temporaire) et dépassait le stade allégorique par un entrainement réel à simuler le port de talons (pour un corps augmenté), ou réussir le death drop (chute mortelle), un mouvement de danse caractéristique du voguing. Le jeu est plus sérieux qu’il en a l’air. Il s’agit d’éprouver ce qu’engage l’action de faire semblant : c’est un acte de transcendance multiple (des réalités, des genres, des codes) qui requiert un investissement physique, moral, voire politique et spirituel. C’est ainsi que résonnent les conseils donnés par la drag queen Misty postés sur le site des enfants de Diane, où il semble être question de se préparer à un combat en armure de strass, qui ne sera victorieux qu’à condition de vivre réellement et exagérément la chanson mimée sur scène. C’est cette exaltation à laquelle se sont convertis les enfants de Diane en se donnant entièrement au show dans une sorte de messe incantatoire, un rituel de transmigration, sans grande distance parodique : « Laissez vous habiter par les voix du passé. Synchronisez vous à la lumière de l’espace ». Par-delà la récupération des codes identitaires et la dilution de la culture militante qu’a accompli le divertissement mainstream, alors que les concours de lip sync font l’objet de télé-crochets en prime time vidés de toute substance homo-érotique, il pourrait s’exprimer ici ce qui est encore vif pour résister aux pouvoirs de domination.»

Julie Portier, pour l’exposition collective Les enfants du sabbat 19 au Creux de L’ enfer



INSTAGRAM